La recherche

Au collégial, les buts disciplinaires des cours de littérature de la formation générale sont orientés vers le développement global de l’élève, par exemple le développement de l’ouverture sur le monde, du sens critique et de la créativité. Pourtant, les pratiques pédagogiques et évaluatives sont centrées sur la production d’écrits analytiques, créant un écart pouvant être source de ruptures par rapport aux buts de la discipline. Par ailleurs, la situation d’apprentissage des cours de français au collégial est complexe : relevant de la formation générale obligatoire, elle réunit une diversité d’élèves ayant des rapports très hétérogènes à la discipline « français » ; parallèlement, la formation est ancrée dans la discipline de la littérature, qui relève surtout des littératies universitaires. D’ailleurs, la plupart des personnes enseignantes ont une formation universitaire en études littéraires plutôt qu’en pédagogie ou en didactique. Enfin, alors que l’enseignement collégial de la littérature est, de l’avis de certains spécialistes, fortement ancré dans la tradition des cours classiques, les didacticiens de la discipline remettent par ailleurs en question la possibilité d’intégrer l’approche par compétences (APC) à la littérature – l’APC étant pourtant l’approche en place au collégial. En 2020, deux praticiennes chercheuses (Bélec et Doré, 2021) mènent une recherche exploratoire en vue de développer un prototype d’approche pédagogique centrée sur le développement d’une compétence de lecture littéraire (LL). L’hypothèse est que la LL est en fait une métacompétence essentielle à la réussite dans les cours de français de la formation générale du collégial. Cette métacompétence y est définie comme une interaction entre un sujet lecteur, le monde extérieur et une altérité portée par le texte qui génère un enrichissement de l’individu grâce à un processus de construction de sens dans lequel différentes postures de lecture, tant participatives que distanciées, interagissent et s’entre-alimentent. En outre, les chercheuses explicitent les savoirs, savoir-faire et savoir-être nécessaires à la mobilisation de la compétence de LL ainsi que les actions clés permettant l’opérationnalisation de ces savoirs.

Faisant suite à ce projet exploratoire, cette recherche collaborative (27 enseignants, 11 collèges) vise à peaufiner le prototype développé et a établir la valeur de cette approche en tant qu’innovation pédagogique pour les personnes enseignantes sur les plans de la désirabilité, de la faisabilité et de la viabilité. Grâce aux rétroactions des personnes enseignantes, l’approche a donc pu être bonifiée. Le résultat est une approche didactique porteuse pour l’apprentissage et la réussite, la motivation et l’inclusion. Sa désirabilité a été examinée au regard de sa capacité à résoudre des problèmes professionnels des personnes enseignantes ainsi qu’au regard de sa valeur pédagogique. Ces éléments ont été évalués grâce à un questionnaire différencié conçu à partir d’analyses thématiques de récits de vécu professionnels ainsi que par la tenue d’entretiens de groupe. La faisabilité a été évaluée grâce à un questionnaire autoadministré. La viabilité a été analysée au regard des contraintes imposées par les pratiques (entretien de groupe) ainsi qu’au regard du potentiel de transférabilité de l’approche. Ce transfert a été analysé grâce au croisement d’analyses mixtes de cartes mentales et d’analyses phénoménologiques interprétatives de 14 cas; ces analyses ont permis de constater le bon potentiel de transfert de l’approche et de situer les facteurs susceptibles de limiter ou de favoriser le transfert de celle-ci. L’approche se révèle particulièrement désirable pour les personnes enseignantes affectées par les difficultés de leurs élèves; elle est aussi désirable par la forte cohérence pédagogique qu’elle apporte aux personnes enseignantes, qui renforce leur sentiment de compétence dans l’enseignement de leur discipline. L’approche est perçue comme faisable et viable, malgré quelques bémols dans les pratiques liées à l’évaluation du processus de la compétence. Enfin, l’intégration de l’approche dans les représentations et les schèmes d’action semble favorisée par un contexte d’expérimentation propice ainsi que par des individus ouverts à prioriser, dans leur relation pédagogique, un rapport à l’élève « avec » ainsi qu’un rapport à l’évaluation constructif.